
Chez les Angellier, on mettait sous clef les papiers de famille, l’argenterie et les livres : les Allemands entraient à Bussy. Pour la troisième fois depuis la défaite le bourg allait être occupé par eux.
Irène Némirovsky – Suite française (2004)
Arrêtons-nous sur deux des lieux de tournage belges du film de Saul Dibb sorti au cinéma en 2015 avec un casting international à l’affiche.
Suite française est l’adaptation d’un roman inachevé et publié à titre posthume plusieurs décennies après sa rédaction. Son autrice, Irène Némirovsky, menait une carrière prolifique dans les années 1930 avec plusieurs romans et nouvelles à son actif; deux de ses œuvres furent même rapidement adaptées au cinéma (David Golder par Julien Duvivier et Le Bal par Wilhelm Thiele, en 1931), carrière arrêtée net lorsqu’elle fut déportée à Auschwitz en 1942 où elle perdit la vie à l’âge de 39 ans.






Scènes de Suite française tournées au Musée de la Mine du Bois-du-Luc et à Enghien; film (2015) vs réalité (2023, 2024).
C’est sa fille Denise Epstein qui a retranscrit le manuscrit finalement paru en 2004, un best-seller récompensé du Prix Renaudot. Basé sur sa propre expérience lorsqu’elle quitta Paris avec sa famille en 1940 afin de se réfugier à Issy-l’Évêque en Saône-et-Loire, le livre raconte une fresque romanesque qui se passe pendant l’occupation allemande d’une petite ville de province. Y naît une passion entre la Française Lucile Angellier (Michelle Williams) et l’officier allemand Bruno von Falk (Matthias Schoenaerts).
Dans le film, le village fictif de Bussy du roman a les allures de la commune de Marville dans le département de la Meuse, la plupart des extérieurs ont été tournés là pour les scènes de vie au village, avant et pendant l’occupation. Cette coproduction anglo-franco-belge a trouvé tous ses lieux de tournage en France et en Belgique.






Les bureaux de l’ancienne Société des Charbonnages du Bois-du-Luc; film (2015) vs réalité (2021 et 2024)
Le Musée de la Mine et du Développement Durable à Bois-du-Luc sert régulièrement de lieu de tournage pour des films d’époque, je vous en avais déjà parlé dans les deux articles consacrés au film Wil sorti en 2023. La production de Suite française a utilisé une bonne partie de l’aile administrative des anciens charbonnages de la société du Bois-du-Luc, près de La Louvière en région du Centre (Belgique). On a installé ici les bureaux de la Kommandantur de Bussy, en réalité le bureau directorial du musée, le bureau de paie et un petit bureau à l’étage du musée, le couloir d’entrée apparaît également à plusieurs reprises dans le film.
Parmi les acteurs principaux du long métrage qui sont passés par Bois-du-Luc, citons Lambert Wilson, Michelle Williams, Matthias Schoenaerts, Harriet Walter, Ruth Wilson, Sam Riley et Heino Ferch. Soit un casting composé d’acteurs et d’actrices venus de France, Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne et des États-Unis.
Lambert Wilson, dans le rôle du maire de Bussy, le Vicomte de Montmort, tente de faire ami-ami avec l’ennemi afin de préserver sa commune et ses habitants. Il apparaît à plusieurs reprises dans le bureau directorial occupé par le major de l’armée de terre allemande en poste (Heino Ferch). On voit beaucoup à l’écran la bibliothèque qui occupe tout un mur du bureau. Pour le film, les tables et chaises ont légèrement été déplacées, des stores de couleur claire ont été posés sur les fenêtres, les lampes de bureau et objets décoratifs ont été changés. Mais pas les bureaux eux-mêmes et les chaises qui sont bien ceux qui appartiennent au musée et que l’on peut apercevoir lors de la visite du musée.
Matthias Schoenaerts a également tourné une scène ici, l’acteur belge interprète le charmant soldat allemand dont le personnage joué par l’actrice américaine Michelle Williams tombe amoureuse. On peut le voir attendre dans le couloir du musée avant d’être invité à rentrer dans le bureau de son officier en chef. Il se tient lui aussi devant l’imposante bibliothèque vitrée qui se trouve dans cette pièce.




Le bureau de la direction des anciens Charbonnages du Bois-du-Luc.
Deux scènes principalement se passent dans le couloir d’entrée qui communique entre le bureau directorial et le bureau de paie du musée. En premier lieu, les habitants de Bussy (Marville pour les prises de vue extérieures, on s’en souvient) sont sommés de venir remettre leurs armes personnelles – des fusils de chasse essentiellement – auprès de l’occupant. On peut voir plusieurs des personnages principaux faire la file et se croiser ici dans le couloir où un soldat allemand installé à une table au niveau du bureau de paie tient un registre. Lors de la seconde séquence, une table placée au niveau de l’escalier qui mène à l’étage est le point d’arrêt de la Vicomtesse de Montmort (Harriet Walter) qui doit y montrer le contenu de la valise qu’elle a apportée à son époux, fait prisonnier.






En haut l’entrée et le bureau de paie, en bas un bureau du personnel actuel du Musée de la Mine à Bois-du-Luc; film (2015) vs réalité (2021 et 2024).
En effet, le personnage joué par Lambert Wilson a été arrêté en punition d’un incident qui a eu lieu précédemment, il va être condamné à mort en guise d’exemple. Après avoir subi un interrogatoire, il a droit à son dernier repas en compagnie de son épouse. Un dernier échange qui a été tourné dans un endroit du musée qui n’est pas ouvert au public puisqu’il s’agit d’un petit bureau sous pente à l’étage qui est occupé par le personnel. On peut reconnaître sur la photo ci-dessous les étagères en bois que l’on voit dans le film. Le maire est assis à une table tandis que sa femme qui vient lui dire adieu est assise en face de lui pour une séquence classique en champ/contre-champ. Vous pouvez remarquer aussi que les murs ont été repeints depuis le tournage en 2013. D’ailleurs la lucarne du toit, qui est maintenant occupée par un velux moderne, avait été camouflée par les décorateurs du film, ils avaient fabriqué une fenêtre sur mesure à encastrer afin qu’on n’y voit que du feu.



L’aile administrative du Musée de la Mine et du développement durable et un bureau à l’étage.
Photos exclusives des coulisses du tournage au Bois-du-Luc
Présentées ici avec l’aimable autorisation de la Direction du Musée de la Mine et du Développement Durable du Bois-du-Luc.
Photos © Joseph Di Terlizzi (2013)






Lambert Wilson, le réalisateur Saul Dibb, Heino Ferch, les chaises de régisseur du réalisateur et de Matthias Schoenaerts.
On peut voir sur les photos ci-dessus les tongs vertes portées par Lambert Wilson pendant qu’il se fait retoucher le maquillage. Tourné en plein été par forte chaleur, on peut comprendre cette liberté prise avec son costume à partir du moment où on ne voit pas ses pieds dans la scène ! Sur la deuxième photo, on peut le voir discuter avec le réalisateur britannique Saul Dibb (l’acteur étant parfaitement anglophone). Sur la troisième image, l’acteur allemand Heino Ferch en costume, et sur le dernier cliché, Lambert Wilson dans le bureau directorial à travers l’écran de contrôle de la caméra principale.

Sur cette jolie photo où figurent quelques-unes des figurantes du film, prise dans la cour des ateliers du musée de Bois-du-Luc, on peut voir les nombreux arbres qui ont disparu depuis (ils menaçaient la structure des bâtiments proches). Lorsque vous visitez le musée actuellement, cette zone est maintenant dénudée, on y retrouve uniquement la pelouse.
Sur les clichés ci-dessous pris pendant le travail préparatoire avant le tournage, on peut voir le boulot des décorateurs à l’œuvre dans les bureaux. Téléphones, documents, armes, drapeaux nazis et portrait de Hitler sont venus transformer les diverses salles du musée.





Passons à un deuxième lieu de tournage, toujours en Province du Hainaut : l’église Saint-Nicolas de Myre à Enghien. La scène de messe du début du film et une séquence plus loin y ont été filmées.
Les origines de l’église sont vagues, mais on la nommait déjà au Moyen-Âge. Elle a subi de multiples saccages et incendies au fil des siècles avant d’être finalement restaurée dans les années 1960. Située juste à côté du très beau Parc d’Enghien et de son château, on peut encore voir sa tour de style gothique brabançon. L’église était la paroisse des grandes familles qui ont occupé le château, ce qui explique la richesse de sa décoration et le fait qu’elle ait été si bien préservée, finalement.




Église Saint-Nicolas de Myre d’Enghien (Belgique).
Parmi le mobilier remarquable, le retable du XVIe siècle qui se trouve dans la chapelle Notre-Dame de Messines. Bien sûr, on ne peut pas passer à côté des vitraux issus de plusieurs époques, les plus récents sont dus au maître-verrier français Max Ingrand. L’imposante chaire de vérité en bois sculpté date du XVIIe siècle, on voit bien celle-ci derrière Kristin Scott Thomas et Michelle Williams dans le film.



Parmi les autres lieux de tournage côté belge, on peut citer plusieurs endroits du Brabant wallon : notamment Nivelles (la maison des Angellier) et Villers-la-Ville (pour une séquence d’exode rural où les gens sont pris pour cible par l’aviation allemande et également à la toute fin du film lorsque le personnage joué par Michelle Williams tente de s’échapper) – le lieu exact en est la Drêve des 4 Chênes, une campagne bordée d’arbres à proximité de l’abbaye de Villers. Au générique de fin est encore cité un mystérieux château de Valduc que je n’ai pas pu localiser avec certitude, ni savoir quelles scènes ont pu s’y tourner, à moins qu’il s’agissait d’y loger ou d’y restaurer l’équipe du film.
Vous pouvez retrouver plus d’images tirées du film Suite française dans la rubrique Galerie de photos du site.
Les autres films tournés au Musée de la Mine et du Développement Durable du Bois-du-Luc.
Photos : @Simply.Mad 2021, 2023 et 2024 (et captures d'écran du Blu-ray du film Suite française, Canal+) et @Joseph Di Terlizzi. Merci au personnel du Musée de la Mine et du Développement Durable et du Gabos pour l'accès aux pièces du musée et aux photos du tournage au Bois-du-Luc. Grand merci également à Isabelle Sirjacobs du Saicom pour le partage de ses souvenirs du tournage.
