Audrey Hepburn au couvent

The Nun's Story film poster, Audrey Hepburn

Longtemps avant d’entrer dans les ordres, j’avais une règle bien à moi : tout ou rien.

Soeur Luc (Audrey Hepburn)

L’adaptation d’un roman narrant la vie d’une religieuse belge, de son entrée au couvent jusqu’à sa mission au Congo, un grand film classique porté par une Audrey Hepburn très investie dans le rôle, et tourné en grande partie dans les lieux mêmes de l’histoire.

Le roman The Nun’s Story (Au Risque de se Perdre en VF) signé par l’Américaine Kathryn Hulme en 1956 est fortement basé sur la vie de son amie Marie-Louise Habets, une nonne flamande de la Congrégation des Sœurs de la charité de Jésus et de Marie qui, sous le nom de Soeur Xaverine, a officié au Congo belge avant de quitter les ordres en 1944 pour rejoindre en tant qu’infirmière une organisation d’aide aux déportés de la guerre; elle émigra ensuite aux États-Unis où elle continua à travailler pour diverses organisations d’aide aux populations minoritaires.

L’auteure a changé les noms des personnages et certains lieux (Habets est née dans un village de la région de Bruges et est entrée dans les ordres à Gand, par exemple), mais a gardé l’essentiel des éléments de la vie de la nonne-infirmière. C’est ainsi que la Gabrielle Van Der Mal du livre, fille d’un médecin de Bruges, rentre dans les ordres dans sa ville natale et devient Sœur Luc, avant de suivre un chemin très similaire à celui de Sœur Xaverine dans la réalité.

Spinolarei et le Koningsbrug, la maison familiale des Van der Mal dans le film, sur Sint-Annarei.

Le roman semi-biographique devient un bestseller et donne naissance à un film en 1959, réalisé par Fred Zinneman (on lui doit Le Train sifflera Trois Fois, Tant qu’il y aura des Hommes, Chacal et Julia) et qui valut à son interprète principale, Audrey Hepburn, un BAFTA et une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice. Le livre autant que le film ont été plébiscités par les communautés religieuses de l’époque qui y reconnaissaient leur propre vécu et appréciaient que l’on y décrive l’empathie et la dévotion de manière si délicate. D’autres communautés moins ouvertes – catholiques principalement – regrettaient que l’héroïne mette en doute sa foi et puisse ainsi montrer un côté moins glorieux (quoique très réel) de la vie des religieux.

Après des mois de discussions entre le studio Warner Bros. et les responsables catholiques en Belgique où le tournage devait idéalement commencer, les craintes furent soulevées des deux côtés. Audrey Hepburn rencontra longuement Hulme et Habets afin de préparer son rôle.

Tourné à Rome aux Studios Cinecittà pour toutes les scènes d’intérieur (couvent, asile, église), le reste du tournage a eu lieu en Belgique et au Congo belge (qui allait obtenir son indépendance en 1960). C’était peut-être la première fois qu’Hepburn revenait dans le pays où elle était née (voir cet article que j’ai consacré à Audrey en Belgique).

Liste des lieux de tournage par ordre d’apparition à l’écran :

  • Pendant le générique de début, la jeune Gabrielle (Audrey Hepburn) se balade le long d’un canal à Bruges, pensive elle se trouve sur le « pont du roi » (Koningsbrug) sur le canal Spinolarei que vous reconnaîtrez aisément si vous avez vu Bons Baisers de Bruges – le personnage joué par Brendan Gleeson y emprunte le même chemin. Gaby rentre chez ses parents, la maison se trouve au 22 de Sint-Annarei au coin avec Blekersstraat. Par chance, la maison a très peu changé 60 ans plus tard.
  • Gaby s’apprête à rentrer au couvent car elle souhaite devenir infirmière et venir en aide aux gens, elle rêve d’aller au Congo. Elle a quitté son fiancé et sa maison d’enfance, son père (Dean Jagger) la conduit au couvent, elle y sera novice. On voit les deux acteurs arriver devant le soi-disant couvent par le canal Potterierei – nous sommes à moins d’un kilomètre de la maison.  Le gros plan sur la statue en bois de la vierge sur la porte confirme que nous sommes devant l’église Notre-Dame de la Poterie (O.L.V. ter Potterie), depuis désacralisée et transformée en musée en même temps que l’ancien hôpital qui y est attaché. Les « bonnes sœurs » y officiaient déjà au Moyen-Âge quand religieuse rimait souvent avec infirmière. Toutes les scènes d’intérieur (couvent et église) ont été filmées à Rome. Au couvent, les règles strictes sont dures pour Gaby, surtout le vœu de silence. On assiste à la cérémonie où elle devient nonne. Elle prend le nom de Sœur Luc.

Canal Potterierei à Bruges et l’ancien hôpital Notre-Dame de la Poterie, étape du Pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle

  • Elle va ensuite à l’école d’infirmières de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers. À l’origine, l’institut se situait à Bruxelles et déménagea à Anvers en 1933. C’est là qu’étaient formés les médecins et les infirmières qui allaient être envoyés au Congo belge.

Petit subterfuge, lorsque la scène est supposée se passer à Anvers, Sœur Luc et son groupe d’étudiantes descendent en fait du tram 60 et nous sommes ici à Bruxelles, à Schaerbeek très exactement, le tram ne passe plus dans cette rue de nos jours, remplacé par un bus, mais le bâtiment où se rendent les sœurs a heureusement très peu changé. Au coin des rues Gustave Fuss et André Van Hasselt, c’est l’endroit où les nonnes sont hébergées pendant leurs études (donc Bruxelles double Anvers pour cette courte séquence de rue).

Sœur Luc réussit haut la main ses examens mais au lieu d’être envoyée au Congo comme elle le souhaitait, elle est envoyée dans un asile près de Bruxelles. L’église souhaite ainsi lui apprendre l’humilité – ayant hérité du talent et de la curiosité de son père médecin – car il n’y a pas de place pour le génie dans la religion, apparemment.

Rue Gustave Fuss à Bruxelles (Schaerbeek) où les soeurs arrivent en tram dans le film.

Pour les extérieurs de l’asile, en guise de Bruxelles, nous avons probablement un mélange de prises de vue à Bruges et à Froyennes, une commune de la ville de Tournai côté francophone. Très difficile de faire la part des choses, je n’ai pas réussi à retrouver sur place les allées qui bordent le couvent et où se promènent Sœur Luc et Mère Christophe (Beatrice Straight). Il semblerait que la séquence ait été filmée autour du Béguinage de Bruges, mais la Maison de la Sainte Union de Froyennes est mentionnée dans les lieux de tournage du film également. J’ai cherché d’anciennes cartes postales des lieux à l’époque du tournage pour m’en assurer, mais impossible à confirmer, l’environnement ayant pas mal changé depuis le tournage autant à Froyennes que dans cette zone touristique de Bruges. En tout cas, à Froyennes c’est maintenant une maison de repos pour bonnes sœurs, la filiation est donc bien là.

La Maison de la Sainte Union à Froyennes et la rue du Moulin qui la longe.

  • Après bien des péripéties lors de son service à l’asile, Sœur Luc part enfin pour le Congo, le départ se fait en bateau depuis le port d’Anvers d’où partaient effectivement les colons belges vers ce qu’on appelait encore le continent noir. Lors de la séquence du départ du bateau depuis les quais de l’Escaut, on peut reconnaître subrepticement des points de repère de la ville historique : le château Steen, la tour de la cathédrale et la Boerentoren (Tour des Paysans). Cette dernière est le tout premier immeuble « à l’américaine » construit sur le continent européen en 1931, dans un style art déco; haut de 87 mètres, le building est resté le plus haut d’Europe jusque dans les années 50 (on lui a encore ajouté 10 mètres dans les années 70) et est toujours actuellement le plus haut de la ville d’Anvers après la cathédrale qui culmine à 123 mètres.
  • Le reste du film se passe réellement au Congo belge (depuis 1960 la République démocratique du Congo). Toutes les séquences ont été tournées sur place. Sœur Luc se donne corps et âme dans la recherche et le traitement des maladies tropicales jusqu’à ce qu’elle contracte elle-même la tuberculose (TB) qui avait été amenée sur le continent africain au 19ème siècle par les migrants et marchands venant d’Europe et d’Asie.
  • Sœur Luc est renvoyée en Belgique, dans son couvent initial (extérieurs à Bruges et intérieurs à Cinecittà). Sœur Luc est sommée de se reposer alors qu’elle ne veut que retourner au Congo, mais la deuxième guerre mondiale éclate et elle devient infirmière en chirurgie alors que la Belgique est envahie par l’Allemagne. À la mort de son père, elle décide de quitter le couvent.

La Steenplein à Anvers; la tour de la cathédrale Notre-Dame; un bateau de croisière sur l’Escaut.

Dernière scène : Gaby reprend ses habits civils, passe une porte qui la mène à l’extérieur, elle retrouve les pavés des rues de Bruges qu’elle arpentait au début du film, elle hésite. Prendre à gauche ou à droite pour commencer le prochain chapitre de sa vie ? Aucune musique n’accompagne cette scène, comme pour ajouter à la charge dramatique, et puis la cloche de l’église sonne… Et de nouveau une pirouette géographique car cette séquence a été tournée dans la ruelle à côté de la maison qui servait de décor à la maison familiale des Van der Mal au début du film, la Blekersstraat ! En effet, lorsque Gabrielle, revenue à la vie civile, passe la porte, on reconnaît les murs des deux façades de chaque côté de cette ruelle, on peut voir le canal et même deviner la silhouette de la Poortersloge (Loge des Bourgeois) au loin. Sauf qu’il n’y a pas de mur ni de porte à cet endroit puisque la ruelle continue au-delà dans la réalité… un faux décor monté pour le tournage ?

En tout cas, c’est là une séquence d’une grande force, sans musique, sans dialogue. Juste le combat intérieur d’une femme que l’on peut lire sur le visage d’Audrey Hepburn. Ah, d’ailleurs la musique, parlons-en ! Le compositeur est le grand Franz Waxman qui a marqué le cinéma entre les années 30 et 60. On lui doit les bandes originales de La Fiancée de Frankenstein, Indiscrétions, Boulevard du Crépuscule et Fenêtre sur Cour pour ne citer que quelques-uns de mes longs métrages préférés.

Le saviez-vous ? En 1960, Audrey Hepburn tourne le western Le Vent de la Plaine pour John Huston lorsqu’elle fait une grave chute de cheval, alitée plusieurs semaines, elle a besoin des soins quotidiens d’une infirmière à domicile. Ce n’est autre que Marie-Louise Habets, la nonne qui a inspiré le roman et le film, qui se proposa pour l’aider à se remettre sur pied !

Vous pouvez retrouver toutes les images tirées du film Au Risque de se Perdre dans la rubrique Galerie de photos du site.

La Warner a mis à disposition sur le web une série de clichés pris sur le tournage d’Au Risque de se Perdre, absolument fabuleux à voir pour les fans de la belle Audrey, en plus d’être une mine d’informations sur les coulisses du tournage. Je tiens aussi à remercier Arjan Doolaar du blog Shot on Location, j’ai en effet pu recouper mes recherches avec ses informations pour les lieux de tournage exacts à Bruges.

Voir aussi les lieux de tournage du film Drôle de Frimousse avec Audrey Hepburn.

Photos : @Simply.Mad 2019, 2021 et 2022 (et captures du film Au Risque de se Perdre, Warner Bros. 1959)

Publié par Simply.Mad

Geek, cinéphile, fan de science-fiction et de bande dessinée. Aime un peu trop le chocolat.

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