
Il suffit d’un peu d’imagination pour que nos gestes les plus ordinaires se chargent soudain d’une signification inquiétante, pour que le décor de notre vie quotidienne engendre un monde fantastique. Il dépend de chacun de nous de réveiller les monstres et les fées.
Boileau-Narcejac
C’est sur cette citation – que l’on pouvait déjà lire en introduction du court-métrage de Georges Franju, La Première Nuit (1958) – que s’ouvre le 6ème long métrage de Fabrice du Welz.
Adoration clôt ainsi la « trilogie ardennaise » du réalisateur belge, entamée en 2004 avec le film d’horreur Calvaire, suivi de Alléluia en 2014. On y retrouve également une Gloria – comme dans Alléluia et Inexorable – doit-on y voir l’évolution d’un même personnage dans des réalités alternatives ?
Le film dépeint l’initiation à l’amour d’un jeune adolescent solitaire, il vit ses premiers émois, ses premières désillusions aussi, forcément, lorsqu’il croise le chemin de la paranoïaque (à tendance schizophrène) Gloria dont les crises de colère rythment le film qui se pose en conte moderne.
Voyage onirique et initiatique dont la photographie sublime la nature verdoyante, à ce titre seule la pellicule pouvait d’ailleurs rendre justice aux paysages, c’est un fait !



Partons sur les traces de cette cavale belgo-belge tournée entre provinces du Hainaut et de Namur.
- Le château Beauregard à Froyennes, à côté de Tournai : le jeune Paul (le Français Thomas Gioria, vu aussi dans Jusqu’à la Garde et Madeleine Collins) habite avec sa mère dans la dépendance à côté du château, elle y travaille comme employée de maison. Le domaine est occupé par un institut psychiatrique privé qui accueille des patients à demeure. Une nouvelle jeune patiente arrive pour y être soignée, son nom est Gloria (la Belge Fantine Harduin, vue dans Happy End et Dans la Brume) et elle a sensiblement le même âge que Paul.



Le château Beauregard à Froyennes à l’été 2021.
Si le château Beauregard vous dit quelque chose, c’est que vous avez vu l’épisode de la série Les Petits Meurtres d’Agatha Christie qui s’y est tourné ou bien lu l’article que j’y avais consacré 😉 L’élégant petit palais néoclassique construit à la fin du 18ème siècle était habité par la famille Le Bègue de Germiny depuis 1835. Entouré d’un parc planté d’arbres centenaires, le domaine est maintenant la propriété de la société privée Thermae, spécialisée dans des hôtels/centres thermaux de luxe. Si l’on peut se réjouir de voir les lieux revivre prochainement, il est dommage de constater que de nombreux arbres ont déjà été abattus pour laisser la place au futur parking du centre de bien-être…
Pour le film de du Welz, le château s’est donc transformé en hôpital psychiatrique le temps du tournage. Toute la première partie se passe à l’intérieur et dans le parc du château, Paul passant le plus clair de son temps dans la nature. Il loge avec sa mère dans les anciennes dépendances qui ont été construites un peu plus tard que le château lui-même, vers 1840.



Le château Beauregard, façade avant et dépendance à droite; gros plan sur les colonnes; façade arrière et dépendance à gauche.
- Paul et Gloria fuguent ensemble, ils s’échappent du château et sortent par le grillage qui se trouve à côté de la grille bleue à l’entrée de la propriété. Ils partent à l’aventure, resquillent à bord d’un train de campagne, crapahutent en pleine nature, s’introduisent sur un petit bateau de plaisance accosté le long d’une rivière pour se protéger de la pluie. Le couple à bord, des Flamands en vacances, accepte de les héberger (Peter Van Den Begin vu dans le film The King of the Belgians et sa suite The Barefoot Emperor – et Charlotte Vandermeersch vue dans Menace sur la Maison Blanche et Belgica).



Le port de plaisance de Landelies, le long de la Sambre, film (2019) vs réalité (2022)
Pour cette dernière séquence, nous sommes en bord de Sambre, sur le petit port de plaisance du village de Landelies (intégré à la commune de Montigny-le-Tilleul), entre Charleroi et Thuin. Non loin de là, les ruines magnifiques de l’Abbaye d’Aulne dont je vous avais parlé pour un autre tournage. Notez sur la photo du milieu ci-dessus que le bateau utilisé pour le film est toujours à quai en juillet 2022 lorsque la photo a été prise !
La séquence du tunnel fluvial a été exceptionnellement tournée à l’intérieur du tunnel-canal de Godarville, toujours au Hainaut. Mis en fonction en 1885 et long d’un km, il a permis aux péniches de traverser jusqu’en 1958; l’entrée en est condamnée de nos jours.



Le port de plaisance de Landelies vu depuis le chemin de halage.
Et avant ça, pour la scène du train (et sans doute de la voie ferrée et du tunnel ferroviaire), on descend vers la province de Namur voisine. C’est le Musée du Chemin de Fer à Vapeur des Trois Vallées à Treignes qui a été sollicité (merci à l’application Wallywood pour l’info 😉). Les scènes de baignade et de balade en barque dans le lac ont été filmées non loin de là, entre Les Lacs de Roly à côté de Mariembourg et le Barrage du Ry de Rome à Couvin. Sublimation à l’écran de la région Entre-Sambre-et-Meuse !
- Arrive ensuite à l’écran une tête connue… Benoît Poelvoorde joue le rôle du solitaire Hinkel qui vit dans une caravane et surprend les adolescents. Il va leur proposer son aide malgré le fait qu’ils viennent bouleverser son quotidien.
Ces scènes sont tournées en Fagne namuroise, aux portes de l’Ardenne belge qui démarre ici. Notamment au camping abandonné qui a rouvert à Yvoir en 2019, un an après le tournage du film, sous le nom Domaine du Bocq.
Revivez le tournage du film Adoration grâce à Cinevox, un article publié en ligne le 5 juillet 2018 (NB : Béatrice Dalle est citée parmi les acteurs, mais sa scène a été coupée au montage).
Plus de films tournés en Belgique ?
Vous pouvez retrouver toutes les images tirées du film Adoration dans la rubrique Galerie de photos du site.
Photos : @Simply.Mad 2021 et 2022 (et captures du film Adoration, The Jokers 2019)