
J’veux pas m’y faire. C’ que j’reproche à la plupart des gars, c’est d’ s’y faire, justement. Ils s’installent dans la guerre, tu comprends ?
Julien Maillat (Jean-Paul Belmondo)
Le rembarquement de Dunkerque en 1940 vu par un des plus grands réalisateurs français de son époque, un film qui fêtera bientôt ses 60 ans et se présente en complément parfait au film de Christopher Nolan sur le même sujet.
Le roman Week-end à Zuydcoote écrit par Robert Merle est publié en 1949 et raconte ce dont il a été témoin en tant que soldat lors de la Bataille de Dunkerque, alors qu’il est agent de liaison avec l’armée britannique. Prisonnier de guerre pendant trois ans, il restera marqué à vie par cette expérience traumatisante. Il reçoit le prix Goncourt pour son premier roman.
Henri Verneuil, le réalisateur (et souvent scénariste) de films devenus des classiques – La Vache et le Prisonnier, Un Singer en Hiver, Mélodie en Sous-Sol – a choisi d’adapter le livre de Merle en 1964 car il était à l’opposé des histoires déjà vues au cinéma au sujet de la Seconde guerre mondiale. Avec son film, il met en scène des anti-héros. Il a de petits moyens par rapport aux budgets américains sur ce type de longs métrages, mais il tourne comme si c’était une super production, à grand renfort d’accessoires, d’explosions et de figurants. L’armée française lui prête main forte en mettant à disposition non seulement tous les véhicules, avions et armes – matériel utilisé à peine vingt ans auparavant pendant la guerre – afin de remettre les choses en perspective, mais également en proposant ses soldats pour la figuration, jusqu’à 200 hommes apparaissent ainsi dans le film lors des séquences de déplacements des troupes ou en bivouac sur les plages.
Verneuil tourne sur les lieux mêmes de l’opération Dynamo, comme le fera aussi Christopher Nolan pour son Dunkerque, les municipalités de Bray-Dunes, Zuydcoote et Leffrinckoucke dans les Hauts-de-France (Nord-Pas-de-Calais à l’époque) sont sollicitées; on tourne dans les rues, dans les dunes, sur les plages…



La plage et les dunes de Zuydcoote; film (1964) vs réalité (2022)
1er juin 1940, un samedi matin. Le film s’ouvre sur des soldats français qui marchent sur une voie ferrée, des ruines (sans doute une gare) longent les rails, on peut deviner une usine en arrière-plan. Nous sommes à Leffrinckoucke, non loin du Fort des Dunes, l’Usine des Dunes vue à l’écran est toujours là de nos jours, même si les hautes cheminées de l’aciérie ont disparu.
D’ailleurs, depuis les dunes qui entourent le Fort, une photo aérienne vous indique où diriger votre regard pour trouver les points d’intérêt de la zone. La voie ferrée est toujours là, mais elle n’est plus exploitée par la SNCF, une voie verte (un RAVeL comme on dit en Belgique) longe maintenant la voie.




Leffrinckoucke : photo aérienne au Fort des Dunes, la voie ferrée, la plage et les Dunes avec le château d’eau (photos prises en 2022).
Dans la suite de cette scène d’introduction du film, un avion lâche des tracts de propagande allemande du ciel, on reconnaît à ce moment la gare de Rosendaël (avec un tréma sur le « e » pour ne pas confondre cette commune avec celle des Pays-Bas qui porte le même nom). Rosendaël fait partie maintenant de Dunkerque et la gare a été désaffectée, mais elle est toujours reconnaissable par rapport au film.
On apprend que le héros du film, le sergent-chef Julien Maillat interprété par Jean-Paul Belmondo (Le Professionnel), a été séparé du 101e Régiment, les armées française, anglaise et belge sont encerclées par les Allemands et le rembarquement vers les côtes anglaises se prépare. Maillat prévoit de rejoindre la mer, incité par une affiche en gare vantant la station balnéaire de Zuydcoote. Une mise en abyme nous montre ensuite des soldats français sur le ponton en bois de la plage (il y est toujours à l’heure actuelle).



La villa Magnolias, la villa Vertigneul et rue des Cigognes; film (1964) vs réalité (2022)
C’est à partir de là que le film va nous balader sans cesse entre les plages de Zuydcoote et de Bray-Dunes, je vais tenter ici de suivre l’ordre chronologique des séquences :
- De nombreuses troupes attendent sur la plage alors que les avions et batteries ennemis pilonnent régulièrement la zone. Cette plage, c’est Zuydcoote qui s’étire entre Bray-Dunes et Leffrinckoucke, on peut voir dans le film la silhouette de Dunkerque à l’horizon avec ses usines et cheminées.
- On retrouve Maillat (Belmondo) dans une rue, il aperçoit une jeune femme, Jeanne (l’actrice franco-belge Catherine Spaak), au balcon d’une maison, elle observe le ciel avec des jumelles alors que les avions allemands survolent sans cesse le village. Nous sommes à Bray-Dunes, à la villa Magnolias, au coin des rues des Mouettes et des Pluviers. La maison est toujours là, reconnaissable entre toutes, même si elle a depuis changé de couleur. Pour le film, une maison en ruine avait été construite en face en utilisant une méthode proche du carton-pâte, avec de fausses briques. C’est là que Maillat se réfugie avant d’apercevoir la belle.
- Tout près de là, à l’angle de la rue des Cigognes et de la rue des Pluviers, une maison à l’architecture moderne (en tout cas pour les années 1960) est visible dans le film et est toujours en place. Dans une scène, on voit des cavaliers passer devant et de l’autre côté de la rue, Maillat et le soldat Dhéry (Pierre Mondy) s’abritent devant la porte de garage d’une maison.
- Maillat cherche à rejoindre ses amis au sanatorium de Zuydcoote, un imposant établissement qui a servi d’hôpital militaire pendant les deux guerres mondiales et qui est toujours un hôpital de rééducation à l’heure actuelle. Ouvert en 1910, l’endroit a été en grande partie détruit par les Allemands pendant la Seconde guerre mondiale. En partie reconstruits après la guerre, les bâtiments côté plage que l’on voit dans le film de Verneuil correspondent encore assez bien à ce que l’hôpital est devenu de nos jours, la partie centrale ayant survécu à la guerre. Hôpital maritime (thalassothérapie) depuis les années 1960, il est aussi connu sous le nom de Institut Vancauwenberghe, du nom de son fondateur.



Les rues et maisons de Bray-Dunes vues dans le film de Verneuil (photos prises en 2022).
Julien retrouve ses potes dans les dunes devant le sanatorium, des tas de véhicules et de caisses de matériel militaire jonchent la plage et les dunes, un campement de fortune permet aux soldats de faire la popote et d’attendre la suite des événements, entre deux bombardements. Lorsque vous vous trouvez à cet endroit précis au 21e siècle, la côte a très peu changé depuis le tournage du film, on y retrouve les mêmes détails aux mêmes endroits, par chance très peu d’immeubles modernes sont venus détériorer les plages, sauvées sans doute par la présence de grandes dunes impossibles à construire. Si ce n’est l’immense hôpital qui surgit entre deux dunes tel un paquebot insubmersible.
Plusieurs séquences du film se passent ici autour du sanatorium, des moments de détente pour nos soldats, mais aussi des moments de peur intense avec les avions de la Luftwaffe qui lâchent régulièrement leurs obus sur la plage et sur les soldats britanniques en ligne qui attendent de pouvoir embarquer pour rentrer chez eux. On se souvient en effet que l’armée de Sa majesté était prioritaire dans l’évacuation de la région de Dunkerque, les soldats français et belges étaient refoulés en bout de queue. Julien tente d’ailleurs d’obtenir un laissez-passer afin de partir avec les Anglais, il se rend au bureau de l’embarquement britannique à Bray-Dunes, la scène est tournée devant la villa Vertigneul à l’angle de la rue du Casino et de la rue de la Liberté, en face de l’impressionnant site de la dune du Perroquet.



L’hôpital maritime de Zuydcoote côté plage, vu des dunes; film (1964) vs réalité (2022)
La production visuelle, autant que la mise en scène, de ces attaques est particulièrement réussie à grand renfort d’explosions et d’incendies maîtrisés sur la plage, dans les dunes mais aussi sur les façades du sanatorium dont certaines parties n’avaient pas encore été reconstruites depuis la guerre.



L’hôpital maritime de Zuydcotte, côté plage (photos prises en 2022).
Un dernier lieu de tournage notable est à retrouver plus loin sur la côte nordiste, la scène où deux soldats allemands déguisés en nonnes, avec cornettes et tout, sont surpris par l’arrivée de Maillat et de Pinot (Georges Géret). L’église en ruine est en fait Notre-Dame de Calais, bombardée par les Alliés en 1944 alors que la région était sous occupation nazie; lors du tournage du film, sa reconstruction avait à peine débuté. De nos jours, elle a retrouvé son lustre d’antan !
Ce sont plusieurs centaines de figurants recrutés dans la région qui viennent renforcer les effectifs lors de la dernière attaque par les airs sur la plage de Zuydcoote. Verneuil n’a pas eu recours à des silhouettes en bois, lui, pour simuler les colonnes entières de soldats en attente devant la mer (Nolan, si tu me lis…).




Les plages de Zuydcoote et de Bray-Dunes et les panneaux qui commémorent la Bataille de Dunkerque.
Pour le 50e anniversaire du film, en 2014, les villes de Bray-Dunes et de Zuydcoote ont eu la riche idée, en collaboration avec l’association Groupement des Amis de Bray-Dunes, d’installer plusieurs panneaux explicatifs avec de nombreuses photos tirées du tournage du film, vous pouvez toujours retrouver ces précieuses informations sur chacun des lieux de tournage du film de Verneuil.
Une façon réellement immersive de partir dans les traces de Belmondo et compagnie, pour le bonheur des touristes curieux comme pour celui des cinéphiles en pèlerinage ! Un petit conseil si vous passez par Bray-Dunes, allez pousser la porte de l’Office du Tourisme, Place Jérome Rubben, pour y glaner des infos, et si vous avez de la chance vous y trouverez encore un plan de l’itinéraire sur les traces du film de Verneuil, et puis à l’extérieur, ne ratez pas un premier panneau vantant Week-end à Zuydcoote.




Les panneaux commémorant le 50e anniversaire du film à Bray-Dunes.
Un document d’époque sur le tournage du film, sorte de « making of » avant l’heure :
Vous pouvez retrouver plus d’images tirées du film Week-end à Zuydcoote dans la rubrique Galerie de photos du site.
Pour une autre plongée dans l’enfer de l’opération Dynamo à Dunkerque, deux articles supplémentaires sur le sujet sont à retrouver ici.
Photos : @Simply.Mad 2022 (et captures d'écran du DVD Week-end à Zuydcoote, Studio Canal 1964)

Superbe reportage ! J’ai maintenant bien envie de revoir le film.
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Merci ! Je ne l’avais plus revu depuis très longtemps et je trouve qu’il tient encore très bien la route (même si les rares personnages féminins sont très mal écrits, mais c’est symptomatique de l’époque du film…).
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