
La musique s’empare de vous. Laissez-la s’insinuer en vous.
Joachim Dallayrac (José Van Dam)
Retour sur un film qui a redynamisé le cinéma belge francophone à la fin des années 80.
Un hommage à l’opéra, musical bien sûr, tourné en costumes d’époque, et à la clé une nomination à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1989.
À la rencontre du Maître de Musique de Gérard Corbiau.
Gérard Corbiau et le chant lyrique, c’est une grande histoire d’amour, d’ailleurs il va y consacrer deux autres grands films après celui-ci – Farinelli en 1994 et Le roi danse en 2000. Réalisateur à la télévision publique belge (RTBF), il a eu bien du mal à monter son premier projet de long métrage. À l’époque, le cinéma belge est pauvre, les investisseurs se font rares, l’entreprise est bien compliquée. La RTBF va finalement accepter de financer le film, une production 100% belge qui sort sur les écrans en 1988. On peut dire que Le Maître de Musique a revitalisé le cinéma belge qui a pu renaître grâce au succès critique et public du film.
Munie d’un budget restreint, la production choisit des lieux de tournage en Belgique proches les uns des autres afin de réduire les coûts, les acteurs ne sont pas des stars, parmi les visages un peu connus, on retrouve la Française Sylvie Fennec, le Belge Patrick Bauchau, mais évidemment la star du film, c’est le baryton-basse belge José Van Dam. Sa voix a résonné dans les plus grandes salles, de la Scala de Milan à Covent Garden à Londres ou encore au Metropolitan Opera de New York. Son rôle de Leporello dans le Don Giovanni de Mozart reste dans les annales comme l’une des plus grandes interprétations de sa discipline, il reprend même ce rôle pour le film musical mis en scène par Joseph Losey en 1979. Van Dam est la carte maîtresse du projet de Corbiau, la valeur sûre qui fera venir les amateurs d’opéra vers le long métrage.
Ce que le réalisateur et le chanteur n’avaient pas prévu, c’est que le grand public serait tout autant séduit par le sujet du film et qu’il ferait aimer le lyrique à toute une nouvelle génération. Conséquence directe du film, la vente de tickets pour les opéras explose, cet art n’étant plus considéré comme s’adressant uniquement à une certaine élite.
Parmi les nombreuses pièces classiques entendues dans le film, jouées par le depuis dissous Nouvel Orchestre symphonique de la RTBF dirigé par le chef d’orchestre Ronald Zollman : du Schumann, du Schubert, un extrait des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, la Tosca de Puccini, du Verdi et, bien entendu, du Mozart.






Petit tour des châteaux de la partie francophone de Belgique ayant servi au tournage du film :
Le Maître de Musique s’ouvre sur un récital du célèbre baryton Joachim Dallayrac, interprété par José van Dam, accompagné par la pianiste Estelle Fischer (Sylvie Fennec). Cette séquence a été tournée dans le théâtre du château de Chimay. Datant de 1863, la salle à l’italienne est inspirée du théâtre du château de Fontainebleau, elle est constituée de deux balcons et d’une loge princière. Le plafond peint représente le Paradis. La salle est inscrite sur la liste du patrimoine exceptionnel de Wallonie.
Le générique de début défile ensuite devant l’image d’une locomotive à vapeur entrant en gare. La jeune Sophie Maurier (Anne Roussel) descend du train, elle se rend chez le chanteur d’opéra qui vient de prendre sa retraite de la scène mais souhaite lui servir de professeur de chant. Cette séquence et plus tard celle du marché où Joachim rencontre Jean, son nouveau poulain, ont été filmées à la gare d’Olloy-sur-Viroin, non loin de Chimay. La gare édifiée en 1901 a vu ses derniers voyageurs passer ses portes en 1963, ensuite seuls les trains de marchandises empruntaient encore la ligne ferroviaire jusqu’à ce qu’elle soit désaffectée et reprise lors de la décennie suivante par les trains touristiques du Chemin de fer à vapeur des Trois Vallées.
C’est d’ailleurs un train historique de cette association qui est utilisé dans le film. La locomotive AD08, construite par les Ateliers de la Meuse et autrefois en service dans un charbonnage du Limbourg flamand, est depuis retournée en Flandre sur la ligne touristique Stoomtrein Maldegem-Eeklo. Les voitures en bois plus anciennes que cette machine tire dans le film sont de construction belge également et datent du début du vingtième siècle.


La gare de Olloy-sur-Viroin dans la province de Namur, souvent vue au cinéma ces dernières années.
Sophie arrive au domicile de Joachim, en réalité le château de La Hulpe au Brabant Wallon. Elle va y passer de nombreux mois en formation auprès du maître. Plusieurs scènes d’intérieur et d’extérieur sont tournées au château du 19e siècle niché dans le Domaine régional de Solvay, du nom du grand industriel qui a racheté le lieu en 1893. Son petit-fils lègue le domaine à l’État belge qui en fait un parc public en 1972. Il est constitué d’un immense parc, d’étangs, d’une ferme et d’un petit jardin à la française. On y trouve également depuis 2000 la Fondation Folon consacrée à l’œuvre de l’artiste.
Le film nous donne l’occasion de découvrir sous tous les angles le magnifique domaine à travers les saisons, de la verdure et des eaux douces de l’automne aux arbres dénudés et à la plaine enneigée de l’hiver. Son château, fortement modifié au cours du 20e siècle, n’a pas changé depuis le tournage du film à la fin des années 80. On y retrouve les quatre tours d’angle recouvertes de lierre, les façades enduites de blanc et les buis taillés en topiaire.






Jean Nilson (Philippe Volter), un gars de la rue que Joachim a repéré précédemment sur le marché devant la gare, va à son tour profiter des enseignements du professeur qui veut en faire un chanteur lyrique. Pour s’endurcir, il nage dans l’étang du domaine tandis que le maestro le harangue depuis une barque. Joachim devine en Jean, naturellement doté d’une voix de baryton, une future grande voix de ténor s’il accepte de travailler dur pour y arriver.
Balades à vélo ou à pied, traversées en calèche ou en automobile nous donnent encore à voir au fil des scènes l’étendue et la beauté du parc. Certains arbres toujours en place sont d’excellents repères pour les « cinétouristes », comme ces trois arbres au milieu de la pelouse que vous pouvez voir sur la photo ci-dessous prise en 2021, 33 ans après la sortie du long métrage.




Le Domaine régional Solvay et l’étang Solvay
En parallèle, le professeur de chant continue à entraîner Sophie. Celle-ci, un temps subjuguée par son admiration pour le maître, tombe sous le charme du plus jeune et fougueux nouvel arrivant, provoquant la jalousie de Joachim.



Le château de la Hulpe dans le Domaine régional Solvay au Brabant Wallon
Le rival de Joachim, le Prince Scotti (Patrick Bauchau), invite les protégés de ce dernier pour une soirée mondaine chez lui. Nous découvrons le château d’Enghien de nuit où la fête bat son plein. Le mécène propose aux deux jeunes gens de passer la nuit au château. Sophie occupe une chambre verte tandis que Jean se retrouve dans une chambre jaune. Ce château et sa chambre jaune, je vous en ai déjà parlé car ils figurent aussi dans le film de Rupert Everett sur Oscar Wilde, The Happy Prince.






Si le film de Everett se concentrait sur l’intérieur du manoir, le film de Corbiau nous le montre également de l’extérieur; l’ancienne demeure des barons Empain s’est vue ajouter deux ailes latérales en 1926, lui conférant un air classique de style Louis XV.
Jean et Sophie vont se produire pour la première fois devant un public chez le Prince, prouvant que Joachim ne s’est pas trompé, ils possèdent tous les deux un talent exceptionnel. Plus tard, un duel masqué est improvisé par Scotti entre son propre protégé, Arcas (Marc Schreiber), et Jean, tout de blanc vêtus, afin de déterminer lequel a la plus belle voix, en une sorte de revanche de Scotti sur la compétition qui avait eu lieu vingt ans plus tôt entre Joachim et lui.





Château et Parc d’Enghien en province du Hainaut
Pendant ce temps, le Maître décède subitement chez lui. Sa dépouille enveloppée dans un linceul est emmenée en barque sur l’étang de son domaine (toujours à La Hulpe dans la réalité), son dernier voyage, très solennel, est accompagné d’autres barques vers son lieu de repos éternel. Des funérailles solitaires mais dignes d’un grand homme.





Le saviez-vous ? Si José Van Dam n’a pas besoin d’être doublé au chant, les voix de Jean, Sophie et Arcas sont doublées par de vrais chanteurs lyriques. La soprano Dinah Bryant est la voix chantée de Sophie, tandis que le ténor Jerome Pruett double à la fois la voix de Jean et celle de Arcas, une belle performance lors du duel chanté du film !
Vous pouvez retrouver toutes les images tirées du film Le Maître de Musique dans la rubrique Galerie de photos du site.
Découvrir d’autres films tournés en Wallonie.
Photos : @Simply.Mad 2021, 2023 et 2024 (et captures du film Le Maître de Musique, RTBF Films 1988)
