
Gamin ! Allez, viens ! C’est pour rire, gamin !
Ben Patard (Benoît Poelvoorde)
Attention, film culte majeur ! On ne présente plus cet ovni du cinéma belge, du cinéma tout court, qu’est C’est arrivé près de chez vous. Benoît Poelvoorde mêle éléments autobiographiques et pure fiction dans ce film de fin d’études coécrit, coréalisé et cointerprété avec ses potes Rémy Belvaux (frère de l’acteur-réalisateur Lucas Belvaux – Pas son genre, Cavale, Des hommes), André Bonzel et Vincent Tavier.
Mockumentaire ? Précurseur du « found footage » ? Film néo-noir ? Horreur ? C’est un peu tout ça. Difficile de qualifier un film pareil, sorti la même année qu’un autre premier film qui a bouleversé le cinéma en 1992 : Reservoir Dogs d’un certain Quentin Tarantino. Poelvoorde incarne à la perfection cet anti-héros qui commet des actes exécrables (le film a longtemps été censuré dans les pays puritains), tantôt philosophe, tantôt fanfaron, toujours fascinant. Car le film n’aurait pas autant marqué les esprits s’il n’avait pas été porté par un acteur en développement qui était déjà un bijou à l’état pur, capable de nous faire avaler ses savoureux monologues alors qu’il est un psychopathe. Seul lui pouvait nous faire ressentir de l’empathie pour ce tueur en série à la petite semaine.
Les auteurs parlent de ce qu’ils connaissent, la Belgique ouvrière, la vie estudiantine, la politique compliquée de notre petit pays, etc. Sur un ton décalé directement inspiré par l’émission télé Strip-tease qui avait fait les beaux jours de la RTBF dans les années 1980-90 et ensuite reprise par la France. Sans oublier d’égratigner au passage la fascination morbide pour le malheur des autres charrié par les émissions de télé-réalité qui commençaient déjà à pourrir nos petits écrans au début des années 90.
Lors d’un passage à Namur, je me suis concentrée sur deux lieux longuement vus dans le film.



La Cité des Balances dans le faubourg de Namur nommé Salzinnes, construite entre les années 1960 et 80 sur base d’un beau projet social appelé à accueillir les familles, avec infrastructures sportives et même un home pour le troisième âge. Mis à part les immeubles de type HLM, rien d’autre n’est sorti de terre avant longtemps et le quartier passe de nos jours pour un endroit difficile où ne pas traîner le soir… Comme le dit Ben dans le film, le projet d’urbanisme parfait sur papier s’est arrêté subitement à cause de jeux politiques, « tout ça c’est magouille et compagnie, c’est politico-je ne sais pas tout quoi ! ».



Là où le film floute encore la frontière entre fiction et réalité, c’est lorsque Ben nous présente son grand-père et sa mère dans le commerce réellement tenu par la maman de Poelvoorde dans le quartier étudiant de la ville de Namur. Ces derniers pensaient participé à un documentaire sur Benoît, sans plus connaître le scénario. L’épicerie Stimart au coin des rues Grandgagnage et Joseph Grafé a fait les beaux jours de la vie estudiantine et est maintenant devenu un snack opportunément appelé le Près de Chez Vous.



Le film a par ailleurs écumé plusieurs autres lieux en Belgique pour son tournage (un bois à Mouscron, divers endroits à Bruxelles, la carrière, l’usine désaffectée), ce long métrage en noir et blanc n’ayant pas encore révélé tous ses secrets, j’aurai peut-être l’occasion d’en découvrir d’autres lieux prochainement, l’enquête continue 😉
D’ailleurs, c’est à Bruxelles, plus exactement à Ixelles, qu’a été tournée la tristement célèbre scène du « petit Grégory », Ben et l’équipe de tournage sont au café Cinépub (la tenancière Malou jouant son propre rôle) situé à la rue de l’Arbre Bénit, à côté du cinéma Le Styx, et Ben explique la recette de ce cocktail de mauvais goût, il faut bien l’avouer (humour noir à son paroxysme). S’ensuit une envolée de notre tueur-poète sur le thème du septième art : « Cinéma, cinémaaaaa ! … de film en film, je t’ai donné mon existence » – la chanson a été composée par Jean-Marc Chenut pour le film.



Ensuite ils se retrouvent dans la rue où Ben urine contre une façade sur le trottoir d’en face (au coin avec la rue Souveraine). Le café de Malou a fermé ses portes depuis longtemps et les façades ont été fortement rénovées dans la rue.



Rue de l’Arbre Bénit à Ixelles, la scène du « petit Grégory » à la sortie du café; le cinéma Le Styx
On peut voir à un moment le logo Solvay sur un bâtiment, il s’agit de l’ancien siège de la société Solvay datant de la fin du 19e et qui a été détruit en 2017 pour laisser place à un complexe moderne de logements et à de petites zones vertes (dont le Jardin Audrey Hepburn). La commune d’Ixelles ces dernières années a effectivement laissé les promoteurs détruire plusieurs bâtiments issus du patrimoine (néoclassique ou carrément art nouveau) au grand dam des défenseurs de l’histoire architecturale de la ville !
Pourquoi avoir choisi ce quartier de Bruxelles pour placer cette scène et quelques autres (séquence avec le facteur…) ? Parce que le réalisateur, encore étudiant en cinéma à l’INSAS, y habitait et Poelvoorde, alors lui-même étudiant en arts graphiques à l’Erg dans la capitale, retrouvait les copains à Ixelles pour faire la fête.
Autre quartier bruxellois pour la scène du restaurant, en guise d’établissement de la côte spécialisé dans les moules, le segment a été filmé à la Rôtisserie de l’ancienne Barrière à Saint-Gilles – au carrefour de la chaussée de Charleroi et de l’avenue Defacqz. Le restaurant, devenu entretemps le Balnéo, a disparu dans un incendie, complètement rasé et remplacé de nos jours par un nouveau bâtiment dont le rez-de-chaussée est occupé par un supermarché Louis Delhaize.
Vous pouvez retrouver plus d’images tirées du film C’est arrivé près de chez vous dans la rubrique Galerie de photos du site.
Photos : @Simply.Mad 2021 et 2022 (et captures d'écran du DVD C'est arrivé près de chez vous, Universal 2009)